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25 août 2009 2 25 /08 /août /2009 17:52

EXTENSION DU PORT DE MONACO


source: le Minorange N°60
Juin 1999, le groupement dont font partie Bouygues TP, GTM, Vinci Impremar, Saipem et Serimer remporte le marché de construction et conception (Doris) pour l’extension du port de la Condamine à MONACO. Un gigantesque puzzle en béton composé de quatre blocs pour réaliser le terre-plein servant de support à l’articulation de la digue flottante au sud et quatre autres blocs pour la contre jetée au nord.

La digue flottante construite à Algésiras (Espagne) par un groupement francoespagnol: Dragados, FCC, BEC, SMMT, Triverio, mise en place en dernier, articulée sur une rotule métallique de 150 T côté terre-plein est maintenue par huit lignes demouillage côté large et deux en rappel côté  terre. Un important travail de préparation consiste à extraire par dragage la vase jusqu’à – 50 m de profondeur, d’y déposer plusieurs centaines de milliers de tonnes de roches pour réaliser des « paliers sous-marins » aux cotes : - 10 m, - 20 m, - 30 m afin d’y poser les différents éléments du puzzle.
La disponibilité du site de La Ciotat (libre depuis 1989, année où j’ai eu le triste privilège de piloter en sortie le Monterey », dernier navire construit par la NORMED et otage des syndicats pendant 11 mois !), sa situation entre Marseille et Monaco, font que les huit éléments sont construits dans la forme de radoub pour leur mise en flottaison à la fin de la première levée béton. Les opérations de remorquage sont confiées aux « Abeilles International » représentées par le responsable commercial des opérations mer, M. du Fretay alias « le Marquis » et moi-même, ici « tow-master » alias « Yvon » dont les fonctions consistent, après approbation des procédures et gréements, à commander les manoeuvres de sortie de forme, évitage, chenalage, accostage, amarrage, convoyage mer, c’est-à-dire : choix des options de route, détermination de la puissance développée, nombre de remorqueurs en fonction des conditions de vent, houle et courants. Enfin, mise à disposition sur site à Monaco.

Ces choix découlent aussi des notes de calculs issues des conditions météorologiques requises par les experts des assureurs et sociétés de classifications en fonction des caractéristiques de construction et stabilité des caissons. 
Mouvements portuaires : 1.00 m maxi de houle et 15 noeuds maxi de vent. Convoyages : 1.50 m maxi de houle et 30 noeuds maxi de vent

Compte tenu du temps nécessaire à l’appareillage, du temps minimum de convoyage à la vitesse moyenne de 2 noeuds, du temps de raccourcissement de la remorque, de l’approche à Monaco, des modifications de gréements, de la présentation pour connecter les câbles de positionnement, etc…, il faut trouver un créneau météo optimum d’ au moins 4 jours. Ce que s’acharne à trouver Pierre Lagnier du centre météo de Puget, avec qui je reste en relation téléphonique pendant le convoyage pour échanger les prévisions et analyses surface. Au cours des 19 remorquages, j’ai été amené à effectuer un repli sur rade de Cannes, un autre en baie de Villefranche et enfin une mise à la cap derrière les îles du Levant pendant une douzaine d’heures, la vitesse fond avoisinant zéro noeud…, pas facile de rallier une zone de refuge.

Au total : 8 sorties de forme à La Ciotat

3 remorquages entre La Ciotat et Marseille

5 remorquages entre La Ciotat et Monaco

3 remorquages entre Marseille et Monaco

Ces 8 caissons différent tous les uns des autres par leurs formes, dimensions, tirants d’eau, déplacement et comportement sous remorque. Leurs principales caractéristiques sont :

M 10 L = 41.1 m l = 17.0 m h = 11.0 m D.Lège = 4.620 t

M 20 L = 52.5 m l = 25.0 m h = 21.0 m D.Lège = 12.650 t

C 30 L = 87.0 m l = 41.0 m h = 31.0 m D.Lège = 38.000 t

P 10 L = 62.0 m l = 15.0 m h = 11.0 m D.Lège = 4.500 t

A 40 L = 46.0 m l = 27.0 m h = 31.0 m D.Lège = 17.300 t

CT 145 L = 145.0 m l = 30.0 m h = 15.0 m D.Lège = 29.300 t

C 10 L = 27.0 m l = 15.0 m h = 2.5 m D.Lège = 2.200 t

Batardeau L = 27.0 m l = 15.0 m h = 14.5 m D.Lège = 350 t

(permet la flottabilité de C 10)

E 8 L = 41.0 m l = 13.0 m h = 11.0 m D.Lège = 2.970 t

Le tirant d’eau des constructions en forme de radoub est limité par le niveau du seuil de sortie horizontale à – 8.5 m, les caissons doivent donc flotter sans gîte ni assiette, ce qui impose en fonction de leurs caractéristiques : du ballastage liquide dans les cellules, la pose de gueuses en béton sur le pont ou l’adjonction de batardeau métallique. Les calculs de construction doivent donc être rigoureux car il n'est plus question d’alléger en retirant du béton !!!

La deuxième levée de béton se fait à quai dans la darse de La Ciotat autorisant un tirant d’eau inférieur à 10.40 m, ce qui explique le remorquage vers Marseille des caissons dont le tirant d’eau peut approcher les 17.5 m.

L’ensemble crée une sorte de cathédrale engloutie, dont seulement 3 % de la hauteur dépasse le niveau de la mer (contre 10 % pour un iceberg). Il aura fallu près de 110.000 tonnes de béton pour réaliser les ouvrages fixes.

La diversité des éléments du puzzle est telle que je traite seulement C 30 appelé le caisson de « Culée » recevant la rotule d’articulation de la digue flottante. Le 10 août 2000 : sortie de C 30 ; le bassin de radoub présente côté sud-est une grue sur rails en fond de forme qui limite la largeur libre à moins de 48 m . Pas question de faire passer un remorqueur d’où l’idée de déhaler C 30 en reprenant la technique des « mules » du canal de Panama, mais ici avec deux pelleteuses sur chenilles de 45 et 28 tonnes se déplaçant le long de la forme comme sur un chemin de halage. La connexion se faisant sur une dent du godet, largable à tout moment par un simple mouvement de vérin rassure un peu les chauffeurs des engins, craignant de se voir précipiter dans le bassin par le mastodonte de béton.

Côté bâbord, C 30 est équipé de deux patins de glissement (Skid) en appui sur le mur nord-ouest de la forme, assurant un déhalage parfaitement parallèle jusqu’à la partie nord, puis le caisson est immobilisé, le temps nécessaire à la connexion des remorqueurs.

Tout mouvement requiert du temps et des efforts pour larguer et reprendre à la main les différentes aussières amarrant le caisson à la forme. Pas moins de 11 amarres de 72 mm de diamètre, de longueurs différentes pour un poids total d’environ 3 tonnes. Elles sont brassées manuellement (il n’y a pas de cabestan, ni de touret hydraulique comme sur un navire conventionnel) par l’équipe du lamanage de Fos/Marseille, orchestrée par François Ferrandiz, le « bosco amiral » des Abeilles, dont les compétences professionnelles n’ont d’égal que sa sympathie et sa jovialité.

Pour sa sortie de forme, le caisson est équipé d’un gréement court, une patte d’oie en câble d’acier de diamètre 52 mm directement raccordée au spring du remorqueur et treuil de port afin de pouvoir régler rapidement la longueur filée. Toutefois, les capacités manoeuvrières des remorqueurs sont complètement dégradées par l’effet « muraille » du caisson. En effet, l’important tirant d’eau des blocs (jusqu’à 17.5 m de paroi immergée à Marseille pour 4.80 m au remorqueur) crée un renvoi latéral et arrière des filets d’eau vers le système propulseur, diminuant considérablement la traction du remorqueur. Il appartient donc au capitaine de régler judicieusement la longueur filée en tenant aussi compte de l’espace dont il dispose pour faire évoluer son bateau.

La variation de tirant d’eau de C 30 passe de 6.50 m en sortie de forme à la première levée béton, 9.50 m en remorquage de La Ciotat à Marseille à la deuxième levée, 17.30 m de Marseille à Monaco à la troisième levée pour finir à 30.0 m en  position finale. Ces évolutions de caractéristiques amènent à définir quatre types de gréements différents pour :  

la sortie de forme ;   

le remorquage vers Marseille ;

le remorquage portuaire .

Tous ces gréements sont principalement l’oeuvre de Francis Viscuso d’Equipement Service. Je ne prends à titre d’exemple que celui concernant le convoyage de Marseille à Monaco, sachant que les gréements portuaires et de secours sont aussi maillés et à poste.

Du 11 au 12 décembre 2000, C 30 est remorqué à Marseille au poste 122 (la digue du large) pour la troisième levée béton, et l’implantation de la partie « mâle» de la rotule, soit une pièce d’acier de 150 tonnes venant par la suite s’implanter dans la partie « femelle » constituant un ensemble de 770 tonnes pour 8 mètres de diamètre, capable de reprendre des efforts horizontaux et verticaux jusqu’à 10.000 tonnes.

Le 30 juin 2001, à 7 h 30, les 6 remorqueurs arrivent successivement pour

l’appareillage vers Monaco de C 30. La mer est haute, 15 cm de marnage, c’est toujours bon à prendre !!! L’Abeille Provence est connectée central avant, le Marseillais 17 central arrière, le Marseillais 5 bâbord avant, le Marseillais 4 tribord avant, le Provençal 4 tribord arrière et l’Abeille Champagne en pousseur milieu tribord.

Le caisson est maintenu accosté par l’Abeille Champagne, le temps nécessaire au largage des 17 amarres en polypropylène de diamètre 88 mm, des 2 câbles d’acier de 2 pouces et des chaînes de 54 mm, soit environ une heure et demie. La capacité totale cumulée de traction des 6 remorqueurs atteint 240 tonnes, soit une fois et demi la traction maximale de l’Abeille Flandre à Brest, ce qui peut donner une idée du gigantisme de ce bloc de béton.

Une des phases délicates de ce mouvement consiste après l’appareillage du poste 122 à venir placer le caisson dans l’axe de la passe du cap Janet. En effet, avec 17.30 m de tirant d’eau, nous savons que nous allons devoir passer une cote à – 17.40 m avec un écart de route autorisé sur l’axe est-ouest de quelques mètres (peu appréciables à l’oeil nu !).

Le système de positionnement DGPS prévu pour la mise en place à Monaco est donc activé pour le franchissement de la passe. La manoeuvre de sortie s’apparente davantage à un pilotage sur simulateur qu’à un classique appareillage « barbe au vent », à la vitesse moyenne de 0.2 noeuds. Le chenalage entre Janet et la passe Nord s’effectue à 1.1 noeuds puis vers 12 h 45 la configuration de remorquage mer établie, les Abeilles Provence et Champagne devant, Marseillais 17 en stand-by, le convoyage vers Monaco peut commencer. Le vent est sur force 3 à 4 et la mer peu agitée.

Entre Marseille et le sud de La Ciotat, le vent s’oriente à l’W puis WSW 3 à 4, la mer devenant agitée. Le convoi se comporte bien, la vitesse moyenne étant de 2.1 noeuds. Le 1 juillet à 08h30 le Marseillais 17 fait route vers Toulon pour débarquer un blessé avant de nous rejoindre en début d’après-midi. Au sud de l’île du Levant, la nuit tombée, Yves C. marin pompier et ami d’enfance, se doutant de ma présence à bord de ce convoi insolite, m’appelle sur mon portable et nous salue en actionnant tous les gyrophares des véhicules anti-incendie présents sur la colline. Dès le passage du phare du Titan, le courant Ligure se fait sentir et la vitesse décroît doucement jusqu’à 0.75 noeuds de moyenne sur une mer belle et vent de NE force 3.

Le 2 juillet à 09 h 00, François nous fait un numéro d’équilibriste sur une platine de remorquage afin de connecter le Marseillais 17 sur tribord avant. Le résultat est positif car la vitesse qui était tombée jusqu’à 0.4 noeuds (vitesse fond) ne cesse d’augmenter pour atteindre 1.25 noeuds !!!

Nous effectuons des visites de sécurité sur le caisson en présence de Stéphane (ingénieur TP), contrôle des cellules, essais des groupes électrogènes, compresseurs, treuils, feux de route à gaz, éclairage général, remise en ordre du gréement de secours mis à mal par les tourbillons en arrière du caisson, même à 1.5 noeuds. Au cours d’une de ces navettes (5 personnes à bord), un des boudins du pneumatique crève, nous avons juste le temps de regagner l’échelle de pilote, escalader les 14 mètres de muraille et attendre le secours du pneumatique du Marseillais 17. Le 3 juillet au matin, passant le cap d’Antibes, notre vitesse moyenne établie à 1.25 noeuds, nous envisageons notre arrivée à Monaco pour le lendemain 6 h 00. Le vent et la mer étant calmes, le Marseillais 17 est déconnecté reprenant son rôle de sécurité et de navette entre les remorqueurs en traction et le caisson. Le 4 juillet vers 6 H 00, vent ESE force 2, mer belle, François et moi embarquons sur C 30 afin de préparer les mouvements de remorques et prendre en main les opérations de pilotage jusqu’à la position finale du caisson.

Vers 06 h 30, le Marseillais 17 est maillé avec sa remorque de port sur l’avant bâbord, puis l’Abeille Provence largue sa remorque mer pour aller se mailler en configuration portuaire au central arrière, enfin l’Abeille Champagne modifie son gréement tout en restant connectée central avant. L’opération consiste maintenant à approcher doucement en marche arrière d’une zone de connexions des 6 lignes de papillonnage préétablies par l’équipe de Jean-Pierre (Bouygues off-shore). Cette zone est constellée de bouées de mouillages ; d’engins de TP, de câbles, bouées immergées, marques latérales, cardinales, etc…. bref, évoluer au milieu de ces obstructions pimente un peu la manoeuvre, d’autant que, pendant l’approche, un hélicoptère venu faire de l’image rasante, a fait s’envoler en mer tous mes documents et notes.

photo "le Minorange"
Trois lignes sont reliées à terre sur des enrochements et trois autres à des ancres mouillées côté large, les autres extrémités enroulées sur des tambours de treuils fixés au caisson. La manoeuvre simultanée des treuils d’off-shore et des remorqueurs s’effectue en parfaire harmonie, le caisson devant au final trouver sa position au centimètre près. C 30, quasiment à sa position surface, les trois remorqueurs sont déconnectés et restent en attente sur zone, le temps de commencer les opérations de ballastages amenant doucement le caisson à se poser au fond avec 30 m de tirant d’eau. Il est 16 h 00, les remorqueurs terminent de ranger et saisir leur matériel avant de reprendre la route vers Marseille. Nous avons mis 87 heures pour effectuer les 127 miles, soit une vitesse moyenne de 1.46 noeuds.

Le 26 août vers midi, arrivée de la digue flottante en remorque du « Smitwijs London » (construit en 1975) 165 t de traction.Elle aura mis 12 jours pour effectuer les 800 miles d’Algésiras à Monaco. La forme de radoub élaborée sur un site prévu à l’origine pour la construction de navires à grande capacité dans les années 1970 a été réaménagée pour l’occasion aux caractéristiques suivantes : longueur 380 m, largeur 75 m, hauteur d’eau 15 m, en y déblayant quelques 400.000 m3 de terre et matériaux.

La digue est une structure à double coque en béton précontraint, recevant sur la première moitié 4 niveaux de parking sous-marins (400 véhicules), un port à sec de 25.000 m3 de stockage sur 2 niveaux sur l’autre moitié. En surface, 2 gares maritimes, des restaurants, commerces et locaux administratifs. 165.000 tonnes de béton pour 352 m de longueur, 16 m de tirant d’eau, 3 m de francbord, 28 m de largeur en surface et 44 m au niveau des becquets inférieurs. En effet, son profil est étudié pour amortir la houle du large grâce à un « mur d’eau fixe » sous la digue, qui fait l’objet d’un brevet déposé.

Le développement de la croisière de luxe, le doublement de la capacité d’accueil avec la possibilité d’accoster simultanément trois paquebots de croisière, dont un côté large par beau temps, et l’augmentation de surface gagnée sur la mer (environ 20 hectares de plan d’eau et un hectare de terrain) ont un prix actuellement estimé de 334 millions d’euros… heureusement, la garantie de l’ouvrage est centenaire.

Yvon MOUNES

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