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25 août 2009 2 25 /08 /août /2009 15:44

Le renflouement du Frans Hals

 

Mardi 19 novembre 1996: le remorqueur russe Agat, de l'armement Samia Kompania de Mourmansk, se présente au large de Bilbao (Espagne). Il a en remorque le chalutier-usine Frans Hals de l'armement Witte, battant le même pavillon, devant le livrer au chantier de démolition Ardoex. Le dialogue entre les officiers de l'Agat et les autorités portuaires s'avère difficile, aucune des parties ne comprenant la langue de l'autre, et l'une au moins ne parlant pas très bien l'anglais, le convoi n'obtient pas l'autorisation d'entrer et doit repartir cap au large. Un bulletin météo spécial (BMS n°57) est en cours, annonçant un avis de coup de vent de Sud-Ouest à Ouest-Sud-Ouest force 8 à 9 Beaufort, avec rafales pouvant atteindre 70 nœuds sur mer grosse à très grosse et des creux pouvant dépasser 8 mètres.

Vers 23 heures, la remorque de mer casse à environ soixante-cinq mètres de l'étrave du remorqué. Le chalutier, qui ne possède pas de gréement de secours pré-établi, ni de liaison radio VHF avec le remorqueur, se trouve rapidement dans une situation dramatique. Compte tenu de l'état de la mer, le navire, long de 105 mètres et déplaçant plus de 4000 tonnes, dérive inexorablement vers la côte, travers au vent et à la houle, avec à son bord quatre membres d'équipage. La tempête hale à l'ouest avec des vents de 55 à 65 nœuds, une mer très grosse et des creux de 7 mètres. La ligne de mouillage bâbord est larguée pour freiner la dérive, mais son effet est insuffisant.

Ce n'est qu'une dizaine d'heures plus tard que le remorqueur avertira les autorités françaises de la situation ! Il est déjà trop tard pour intervenir et, le mercredi 20 novembre, les Biarrots doivent se borner à suivre du regard l'approche majestueuse de l'imposante coque, déjà ballottée en travers des rouleaux. Face à la ville, le navire s'approche de plus en plus près, passe sur la Roche Plate, vient saluer de son étrave la Roche Ronde, manque presque d'accoster l'hôtel du Palais, pour finalement s'échouer vers 14h30 à environ 45 mètres de la promenade, cap au 045°. En raison d'une surcote de marée exceptionnelle de 85 centimètres due à la tempête, le navire est monté très haut sur la plage.

Craignant sans doute d'être saisi, le remorqueur russe s'est empressé de filer à l'anglaise, abandonnant à bord du Frans Hals le capitaine Valentin Wladimirovitch, le chef mécanicien Serge Nicolaiécich et deux matelots, qui seront tous récupérés sains et saufs.

Un visiteur indésirable

Afin d'évaluer la situation sur place, la direction des « Abeilles International » me détache immédiatement en qualité de « Salvage Master ». Les autorités civiles locales, en particulier M. Borotra, sénateur-maire de Biarritz, et M. Fauveau, commissaire principal, me facilitent sérieusement la tâche pour accéder à bord du navire en fin d'échouage. Je suis en effet hélitreuillé par la gendarmerie maritime, en même temps qu'un inspecteur des Affaires Maritimes, un gendarme maritime et le chef mécanicien russe. Nous récupérons ainsi un maximum de plans, et documents relatifs à la construction, la stabilité, et le compartimentage du navire qui nous seront très utiles pour la suite. Le plus urgent étant d'éviter toute pollution, la visite porte principalement sur l'état et l'accès aux différents ballasts et réservoirs à combustible, le capitaine russe déclarant la présence d'une vingtaine de mètres cubes de fuel en soute.

Le bâtiment gîte alors d'environ 11° sur bâbord. A chaque nouvelle pleine mer, sous l'effet conjugué des coups de butoir des vagues déferlantes et de l'augmentation du marnage, les coefficients de marée passant de 62 le 20 novembre, à 92 le 25, le navire continue sur une cinquantaine de mètres sa lente progression vers le Nord-Est. L'analyse de la situation hydrographique fait apparaître qu'il a dépassé de plus de 150 mètres la ligne de sondes « 0 ». La ligne des 10 mètres se situe à 0,5 mille et celle des 20 mètres à 1,2 mille. Compte tenu du tirant d'eau important des remorqueurs ( 7,4 mètres pour l'Abeille Flandre) qui participeront à l'opération et de l'effet de la houle à basse mer le jour prévu pour le déséchouement, les longueurs de remorques, pantoires comprises, devront donc excéder les 750 mètres.

Pour tirer le chalutier de sa position délicate, on doit lui définir une route de sortie. L'étude de l'enrochement laisse espérer l'existence d'une passe praticable, orientée au 310°, parant à la fois la Roche Ronde et la Roche Plate. Mais pour cela, il faut impérativement faire éviter le navire sur place au tout début de la manœuvre, lui interdisant tout déplacement vers l'avant. La présence de ces roches espacées de moins de 300 mètres limite à 10° l'angle d'ouverture des remorqueurs, ce qui requiert l'assistance d'un petit nombre de remorqueurs, mais de forte puissance, qui devront suivre des caps d'un écart inférieur à 5°.

En première approximation, une force totale d'environ 350 tonnes sera nécessaire les tensions pouvant se répartir ainsi: en début de manœuvre, 160 tonnes exercées sur l'avant du bateau échoué par le premier remorqueur et, simultanément, 100 tonnes et 80 tonnes sur l'arrière par les deux autres remorqueurs. A un moment précis de la manœuvre le plus puissant des deux reportera sa force de traction sur l'avant du navire russe, le passage du premier point de tir au second, soigneusement préparé, se faisant en libérant par découpe au chalumeau d'un maillon retenant les 120 mètres de pantoire, préalablement connectée à l'avant du remorqué.

Une préparation minutieuse.

Les autorités maritimes et préfectorales étudient le projet de pompage des hydrocarbures, en tenant compte des avaries subies par les doubles fonds de la coque lors du passage sur les enrochements. La société « Les Abeilles International » est réquisitionnée pour mener à bien cette première phase des opérations. Ouverts au fur et à mesure du pompage, les ballasts et les capacités machine laissent apparaître plus de combustible que ce qui avait été déclaré; le volume total pompé, d'environ 70 mètres-cubes, est évacué par camions-citernes. L'examen interne des divers ballasts se poursuit afin d'estimer au mieux les travaux à entreprendre avant le déséchouement. En fonction du calendrier des marées, celui-ci peut être tenté une première fois entre le 11 et le 13 décembre, avec en cas d'échec, un report d'environ quatre semaines! Le Windsor Hôtel met gracieusement à notre disposition une salle de restaurant (libre en cette période de l'année) afin d'y établir notre PC opérations à proximité du navire.

Toutes les données intéressantes des documents du navire, récupérées à bord sont transférées sur ordinateur et analysées par un architecte naval, M. Foster. Quant à l'état du navire, une dizaine de ballasts sont percés ou déchirés. La partie arrière, la plus touchée, a subi un écrasement des fonds allant jusqu'à 60 centimètres, avec perforation du plafond de ballast machine. Le tunnel arrière, où passe la ligne d'arbre, est déchiré sur une longueur de 4,5 mètres. L'ordinateur autorise toutes les simulations, en définissant les limites de stabilité, de chavirage ou simplement les impossibilités. Compte tenu des délais très courts avant les prochaines grandes marées et de l'important travail de préparation restant à exécuter, nous décidons d'anticiper sur l'obtention éventuelle du marché, prévue environ une semaine avant le premier créneau favorable. (une opération de cette envergure est soumise à un appel d'offre international, chaque société gérant sa propre étude de faisabilité, moyens mis en œuvre etc... et remet aux autorités, une cotation. Ce n'est pas forcément le moins disant qui emporte le marché). Les coefficients de marée décroissant jusqu'au 4 décembre, les mesures d'immobilisation du navire dans sa position actuelle doivent être prises rapidement, car en aucun cas le Frans Hals ne doit continuer sa progression: Deux ancres de 2,5 tonnes sont enfouies à l'aide d'un bulldozer à 300 mètres sur l'arrière, et reliées à la coque par un câble d'acier de 38 millimètres de diamètre.

Cinq cents kilos de ciment prompt sont utilisés pour colmater une partie des brèches, du côté du tunnel. L'accès aux trous d'homme des ballasts arrière s'effectue par ce même tunnel, envahi par l'eau de mer à chaque marée, ce qui limite les temps d'intervention à quelques heures par jour. Deux lignes de mouillage supplémentaires sont établies par le travers tribord arrière, en vue d'un guidage futur à l'aide de treuils à air de forte puissance, embarqués pour la circonstance. Pour confectionner les différents gréements de remorquage, nous recevons fin novembre plus de 10 tonnes de chaîne de 52 mm de diamètre, soit environ 240 mètres. La chaîne vient du Havre, les treuils de Hollande, et nous sommes en pleine grève des routiers, ce qui oblige les chauffeurs à jongler avec les  "itinéraires bis" !

Le gréement de remorquage d'origine est raccourci, car le frottement des chaînes au passage des chaumards a créé une usure de plus de 40% du diamètre des mailles; cet attelage servira néanmoins au remorqueur de renfort à l'avant. Un deuxième gréement en patte-d'oie est confectionné. Il est passé par les écubiers afin de descendre le centre de traction d'environ 3 mètres par rapport au niveau des chaumards, cela dans le but de diminuer le couple de chavirage. (en effet, je n'exclu pas le risque de voir l'épave chavirer sur son bâbord sous la traction cumulée des 350 tonnes appliquées sur le travers, d'où l'intérêt aussi de découper et retirer tous les poids inutiles dans les hauts..). Le navire étant privé d'énergie, les apparaux de levage sont inertes; la mise à bord et le gréement des maillons de chaîne prennent beaucoup de temps. Nous sommes amenés à installer des va-et-vient depuis la plage, dont la traction est assurée par un bulldozer de l'entreprise Abournague, qui sert habituellement à repousser le sable du haut de la plage vers le bas, chantier garanti durer à vie, la mer repoussant inlassablement le sable dans l'autre sens …

Le mardi 3 décembre, les « Abeilles International » présentent un plan de sauvetage aux autorités maritimes et civiles (plan soumis aux ingénieurs d'état, utilisant des logiciels de calcul très proches des nôtres et à qui il faudra bien expliquer la variation de certains coefficients de frottement qui verront l'implication de la granulométrie du sable Biarrot!!!) principalement représentées par l'amiral Le Dantec et le préfet de région M. Bouillaguet. L'amiral ne souhaite pas détacher de Brest l'Abeille Flandre, pour des raisons de sécurité sur la zone d'entrée en Manche, mais après insistance auprès des politiques, sur le fait que nous risquons de courir à l'échec sans la participation de l'Abeille Flandre, (besoin minimum des 350 tonnes de traction) ce problème sera réglé et un remorqueur de substitution mis en place. Deux hélicoptères « Super-Frelon » de la Marine, venus de la base de Lanvéoc Poulmic, prendront également part à la mission.

Pendant ce temps, les autorités envisagent toutes les possibilités pour se débarrasser du navire indésirable. Le découpage sur place compromettrait la saison touristique d'une des plus belles plages d'Europe, sans compter la gêne provoquée par l'acheminement du matériel et l'évacuation des quatre mille tonnes de ferraille par les rues du centre ville, pendant au moins dix mois de travail !

Le chavirage du navire au moment du déséchouage compliquerait sérieusement sa démolition, et la perspective d'un nouvel échouement en cours d'opération sur la Roche Plate ou non loin du rivage n'est guère plus engageante. Autant de scénarios incitant les autorités à nous faire évaluer le pourcentage de risques. M. Borotra aura toutefois noté que la sagesse d'un marin ne peut quantifier raisonnablement le risque, sans quoi le sauvetage n'aurait guère de raison d'être! Mais le lendemain, la décision est prise à Matignon : ordre de réquisition.

Une conférence de presse est organisée à la mairie de Biarritz, Le directeur d'exploitation  vient en toute hâte me débaucher du chantier car il va falloir présenter, expliquer et commenter à la presse le plan de déséchouage, ainsi que répondre aux diverses questions... Cela dépasserait-il ses compétences techniques ? C'est peut-être dû à l'obtention virtuelle d'un brevet de Capitaine de Première classe de la Navigation Maritime « C1NM ». Il n'est malheureusement pas le seul à avoir validé les temps importants de navigation machine, sur une passerelle ou employé dans un bureau du service armement. Il ne suffit pas d'établir une remorque pour réussir pleinement une opération de sauvetage, cela passe aussi par un devoir de compétences techniques en mécanique, électricité, électronique, hydraulique, plongée, conduite de tous types d'apparaux, de navires : pétrolier, porte-container, cargos, navires de pêche etc.. Les Hollandais ont compris cela depuis très longtemps, c'est pourquoi SMIT par exemple exécute aussi souvent la partie technique dans l'hexagone!!!.
A bord du Frans Hals, les préparatifs vont bon train. Depuis l'arrière jusqu'au milieu, tous les dégagements d'air des ballasts sont démontés, et les cotes relevées pour confectionner des tapes d'obturation et orifice de gonflage contrôlé. Après la découpe de tous les tuyaux des circuits hydrauliques, d'incendie et autres remontant du tunnel, l'échappée de celui-ci est condamnée et étanchée en y soudant une tôle de 10 mm d'épaisseur.

Le navire usine est équipé d'un ballast-quille, étroit et tout en longueur, allant du milieu du compartiment machine jusqu'à la cloison du peak avant. Deux des trous d'homme donnant dans les cales 1 et 2 ne peuvent être obturés, les goujons ou les taraudages étant hors d'état. Il faut donc confectionner des étriers pour étancher ces accès au cas ou nous talonnerions par le milieu, car une voie d'eau au niveau du ballast-quille provoquerait l'envahissement des trois principaux compartiments et ainsi coulerait irrémédiablement le navire.

A l'arrière, trois des quatre wing-tanks, réservoirs à eau potable et à fuel sont crevés. Ces ballasts communiquent de bâbord à tribord sous le tunnel de ligne d'arbre et remontent jusqu'au pont principal. Pour des raisons de stabilité, il faut éviter tout transfert de liquide d'un bord à l'autre. Boucher les orifices de communication entre les ballasts est une des tâches auxquelles se sont attelés Jean Louis B. et Thierry C. A chaque marée descendante, après avoir abaissé par pompage le niveau d'eau polluée, ils se glisseront sous le tunnel à plat ventre, afin d'atteindre la cloison centrale : l'écrasement des fonds ne laisse par endroit qu'un espace de 40 centimètres de hauteur. Puis, après avoir retiré le sable entré par les brèches, ils obstrueront à l'aide de grosses pinoches spécialement confectionnées les quelques cinquante trous de communication entre les ballasts.

Une partie du matériel lourd arrive du Havre : une pompe d'assèchement Framo disposant d'une capacité d'aspiration de 500 m3/h ainsi que trois autres pompes de forte puissance que nous pré-disposons dans les compartiments les plus importants. Responsable de l'énergie, Francis B. réutilise le réseau du bord du chalutier pour faire débiter un des groupes électrogènes, afin de pouvoir circuler dans le navire, toutes coursives éclairées; Encore encombré d'un tas de déchets huileux et d'objets de toute nature, le pont est rendu encore plus dangereux du fait de sa gîte, ce qui entraîne la chute de Jean Claude D. qui se fracture le péroné gauche. Pas de chance!

La Direction Départementale de l'Equipement envoie une équipe pour déblayer tout ce qui traîne sur les ponts et qui pourrait représenter un danger lors du déséchouage. Même les feux de navigation du navire sont démontés !!! ( c'est très joli dans une chaumière!!) pourquoi pas??. Afin de débarrasser le bâtiment de tous les poids morts conséquents, la société EMCC assemble sur le haut de la plage une grue sur chenilles d'une hauteur de travail supérieure à 45 mètres, pour le démantèlement des portiques, de la mâture et le débarquement des pièces lourdes comme l'hélice, le safran etc. Nous en profitons pour embarquer plus de 50 tonnes de matériel.

L'étude du déséchouement amène à définir une situation de ballastage théorique, à partir des éléments de tirant d'eau et d'assiette désirés. Nous nous efforcerons de respecter au mieux ces critères, sachant qu'une dizaine de ballasts à l'arrière seront conservés sous pression d'air entre 300 et 500 g/cm2 à l'aide de trois compresseurs à fort débit, inter-commutables sur deux circuits distincts par souci de sécurité. Le contrôle du gonflage doit être très rigoureux, un dépassement de quelques centaines de grammes peut entraîner l'explosion d'un ballast. La gîte permanente du navire pose toutefois un problème de déclenchement par sécurité des compresseurs, résolu en gavant les carters d'huile!! Sur le pont, on soude tout ce qui peut l'être, et le reste est saisi par chaînes et ridoirs, car il est possible que le navire, une fois à flot, prenne plusieurs dizaines de degrés de gîte, si nous passons sur le bord de la Roche Plate, par exemple.

Après un report pour cause de mauvaise visibilité due à la brume, un Super-frelon effectue la connexion entre la plage et l'Abeille Picardie en attente au large. Faire ainsi passer un câble d'acier de 12mm de section et de 1000 mètres de longueur est une opération délicate, car l'appareil doit se déplacer « en crabe » sur une trajectoire parfaitement rectiligne entre son point de départ et celui d'arrivée, afin d'éviter toute croche sur les nombreux enrochements sous-marins. Une fois la ligne en place, on établit un va-et-vient en augmentant graduellement le diamètre des câbles, jusqu'au passage de la remorque de mer qui sera connectée sur une pantoire.

Du monde pour le spectacle.

Le jeudi 12 décembre, les coefficients de marée sont à leur maximum, soit 100 pour une hauteur à la pleine mer de 4,30 mètres, toutefois une plus grande hauteur d'eau est prévue le lendemain à 06h06, soit 4,45 mètres au- dessus du zéro des cartes. C'est donc cette référence qui sera prise pour le jour J à l'heure H: vendredi 13 décembre à 06h00. Le choix de cette heure matinale et nocturne ne va pas sans poser de sérieux problèmes aux autorités qui doivent respecter le rayon de sécurité de 200 mètres que je leur ai défini, au cas où la rupture d'une pièce mécanique, d'un câble, transformerait la moindre manille en projectile mortel (malheureusement, nous déplorons plusieurs cas de décès dans la marine marchande où, suite à la rupture d'un axe de réas, d'un câble, ou même une simple modification de structure comme le montage de goupille non conforme dans une manille!! ). La distance séparant le Frans Hals des premières façades d'habitations étant inférieure à 50 mètres, toutes les chambres d'hôtel et villas regardant la mer sont évacuées, et les résidents relogés. Quant aux curieux qui souhaitent assister à l'opération, ils devront le faire depuis le front de mer, sous le contrôle d'un imposant service d'ordre spécialement mobilisé.

La présence de « riddens », grossièrement orientés Sud-Ouest / Nord-Est, présentant des stries acérées, augmente la difficulté de passage de la remorque de l'Abeille Flandre au chalutier. Ainsi, un câble d'acier de 26 mm de diamètre accroche cet écueil et se rompt. Réquisitionnée pour l'opération, la pilotine du port de Bayonne facilite l'établissement d'un va-et-vient en polypropylène, son faible tirant d'eau et ses 600 chevaux permettent de tirer plus de 1400 mètres d'aussière sans trop dériver. L'Abeille Supporter prend le relais en virant le filin dont le retour passe par une grosse poulie frappée sur une ancre de 2,5 tonnes profondément enfouie dans le sable et surmontée d'un bulldozer afin d'éviter qu'elle ne chasse sous l'effet des 50 tonnes de traction exercées par le remorqueur d'assistance. Malgré les frottements sur le fond, la remorque d'acier de 70 mm de diamètre, pesant 20 kg le mètre, soulagée par trois ballons de deux tonnes de flottabilité chacun, dévirée par l'Abeille Flandre, progresse centimètre par centimètre, lentement mais sûrement!

Appareillage dans la nuit.

Dernier jusant avant l'heure H: les trois remorqueurs sont parés. A mi-marée, les opérations de dégagement du sable peuvent commencer. Afin de permettre le pivotement sur place du chalutier, deux bulldozers et trois pelleteuses creusent une souille de 2 à 3 mètres de profondeur depuis l'arrière tribord jusqu'au tiers avant. Sur l'avant bâbord, le sable est retiré et repoussé sur les enrochements proches, de façon à créer une aire de glissement afin de minimiser les éventuels risques de déchirure du bouchain lors de la giration.

Vendredi 13, il est 4 heures, la mer est belle, le vent faible de secteur Est, la visibilité bonne. Malheureusement la houle qui pourrait participer au soulagement de la coque est absente, aussi il ne faudra compter que sur la puissance des remorqueurs. Les travaux de déblaiement sont terminés, environ 2500 mètres-cubes de sable ont été déplacés. Un bull reconstitue rapidement une digue transversale d'accès à l'échelle de pilote, à laquelle nous accédons entassés dans le godet!!! 04h20. Une batterie de projecteurs installés par la ville, sur l'Hôtel du Palais, éclairent la Roche Plate, la Roche Ronde ainsi que l'énorme masse du Frans Hals. Nous escaladons les 14 mètres de la muraille de ce drôle d'édifice dont il faut débarrasser la plage du Miramar! Les trois remorqueurs sont en stand-by, prêts à tracter. A bord du Frans Hals, le rôle et le poste de chacun des dix membres de l'équipage sont bien définis : sur le gaillard, Pascal P. officier de manœuvre avant, assisté de Patrick Le D. et Patrice T.; au niveau de la rampe, Thierry C. officier de manœuvre arrière, assisté de Alain C. Yves C. et Yann B.; contrôle de l'énergie électrique et ballastage: Francis B.; Jean Louis B. enfin, à la passerelle supérieure, votre serviteur et commandant de manœuvre Yvon Mounès.

04h45. Dix-huit ballasts sont gonflés à l'air comprimé, quatre centraux conservés pleins d'eau de mer, mais éventuellement déballastables. La simulation du navire à flot  nous amène, au grand étonnement des pompiers, à remplir le peak avant d'eau de ville à l'aide de manches à incendie, soit 140 tonnes à rajouter sur un bateau que l'on veut déséchouer! Simple calcul d'assiette.

05h00. Les trois « Abeilles » : Flandre à l'avant, Supporter et Picardie à l'arrière, montent progressivement en puissance. Les tractions sont régulièrement annoncées sur le canal VHF 06 et suivies en direct au PC dominant la baie, où sont réunies les autorités et la presse.

05h30. La Flandre est au maximum de sa puissance, avec 160 tonnes de traction sous le commandement de Nicolas S. Le Frans Hals subit une vive secousse, le bras tribord de la patte d'oie en chaîne, vient de cisailler une partie de l'étrave à 1,5 mètres au-dessus du renfort brise-glace, laissant échapper quelques tonnes d'eau douce. Le directeur d'exploitation, observateur sur la plage donne par VHF l'ordre à l'Abeille Flandre de stopper sa traction.  Heureusement que tous les capitaines connaissent son niveau de compétence!, aussi je lui interdis l'usage du Canal 06, tous les ordres de manœuvre devant être les miens : nous avons frôlé l'échec !

A l'arrière, la Supporter est à 110 tonnes et la Picardie à 80 tonnes. L'arrière du Frans Hals se met à vibrer, indiquant que la coque commence à se dégager des roches qui la poinçonnent. Je fais mollir la Supporter, pour transférer sa traction sur l'avant après découpe au chalumeau d'une chaîne de liaison vers une pantoire pré-établie en guirlande sur bâbord et reliée au gréement de remorquage d'origine. (cette découpe sous tension résiduelle n'est pas sans risque, à la rupture, le métal en fusion est monté à plusieurs dizaines de mètres).

La coque ainsi libérée de la roche sur l'arrière et subissant 110 tonnes de traction supplémentaires à l'avant, accentue sa gîte jusqu'à 13 à 14°, mais commence à glisser. Les treuils à air de 20 tonnes de traction chacun contrôlent l'évolution de l'arrière. La ligne de mouillage tribord arrière est découpée sous tension, laissant le navire partir rapidement en giration, d'autant plus vite que l'avant bâbord est encore relié à un mouillage de 300 mètres sur l'arrière, dans le but impératif de parer la Roche Ronde. Dès le retour à l'élément liquide, la coque se redresse mais conserve une gîte d'environ 8° sur bâbord, due aux volumes importants de sable restés dans les ballasts endommagés. Lorsque le Frans Hals atteint le cap 310°, la retenue bâbord est découpée, là encore le métal en fusion est projeté à plus de 40 mètres de hauteur. Pour ces opérations à risques, nous avons pré-disposé une antenne du SAMU en alerte durant toute la manœuvre.

L'accélération prise par le vieux navire est impressionnante. Les tractions sont rapidement diminuées, la Roche Ronde est parée d'une dizaine de mètres. Quand la Roche Plate est par le travers, les trois remorqueurs donnent de la corne de brume, pour saluer les Biarrots et marquer l'appareillage dans la nuit du Frans Hals, au terme de sa dernière escale. Remplacée par l'Abeille Picardie, l'Abeille Flandre est libérée pour faire route sur Brest, reprendre sa fonction de garde dans la zone de Ouessant. L'Abeille Supporter ainsi que les deux « Super-Frelon » assurent toute la journée le transfert du matériel de sauvetage du Frans Hals sur le pont de la Supporter.

Ayant cessé de tenir les ballasts gonflés, le navire s'enfonce doucement par l'arrière, la gîte s'accentue également, il sera donc océanisé dans la fosse de Cap Breton. J'avais fait prédisposer les ouvertures du ballast-quille et en ouvrant la porte étanche de liaison entre le compartiment machine et le tunnel, le navire était prêt à être coulé rapidement. La Marine voyant là l'occasion de jouer avec des explosifs, décide de gérer elle-même le pétardage avec l'assistance du GPD et du navire démineur Céres... résultat... le Frans Hals repose tranquillement sur le côté de la fosse, au matin du samedi 14 décembre. Finalement un excellent abri pour les poissons !!!

 

Yvon MounèsRetour au calme..

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commentaires

L
Bonjour , je suis le responsable technique plongée de l'USB et votre article m'as beaucoup interressé . Depuis quelques années des techniques issues de l'offshore nous permettent de plongée<br /> jusqu''à 120m et j'aurais voulu savoir si vous connaissiez la position ou a coulé le Frans Hals ?<br /> Dans l'attente de votre réponse , Matthieu Le Brun
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